‘Stornelli’ toscans
La marge est étroite pour les territoires centraux – Toscane et, pour le dernier texte proposé, la limite des Marches (un nom ici tout indiqué) –, dès qu’il s’agit de littérature que nous dirons par commodité spontanée. Le ton ‘populaire’ y conserve une assurance, une complicité profonde avec les valeurs de la tradition, parallèles de la forte proximité linguistique aux infinies nuances il est vrai, entre ce qu’il serait difficile d’appeler ‘dialecte’ et ce qui devient dès la fin du XIVe siècle une sorte de standard… « Lingua toscana in bocca romana » bientôt, avant d’être mâtinée de cadences et de tournures plus nordiques (milanaises), ‘littéraire’ néanmoins, et accueillante aux nombreuses variations régionales d’un parlato-scritto enfin largement libéré des carcans normatifs. Les ‘autres Italies’ de l’étranger et, plus tard encore comme chacun sait, les immigrations dans la péninsule même, achèveront cette lente évolution vers une langue contemporaine tolérante, ouverte, plus proche que jamais des grandes langues de la modernité (anglo-américain, français, espagnol…) alors qu’elle n’était qu’un langage de lettrés.
Il n’y a presque pas de distance, à l’époque où se développent encore ces formes dites ‘populaires’, entre la doxa littéraire et la transgression (l’ingénuité, le réalisme…) : d’où l’embarras de Pasolini – dont nous utilisons le recueil du Canzoniere italiano – devant ces textes sans tremblement, dépourvus de toute « instabilité et caractère migratoire de la chanson populaire ». Nous sommes bien en présence d’une expression poétique sans doute « minorée », certainement pas minoritaire, ni exclue du monolinguisme (à base toscane) dominant. Les couplets romains, que des films comme Mamma Roma ont popularisés, peuvent paraître davantage insolents, dans la droite ligne du sfottò de la capitale, par rapport à la sagesse ici exhibée. Même s’il y aurait beaucoup à dire, quand on connaît Pea, Viani, Marradi, voire un certain Pascoli (justement valorisé par Pasolini), le corpus toscan reste ainsi fort de son assurance traditionnelle, de son bon sens volontiers goguenard, de sa sapience à base proverbiale, tout-à-fait appréciable et par là même un peu limité.
JcV
Autres couplets : http://www.lastraonline.it/Italiano/-Storia/p/storia.php?idpag=581
Couplets des fleurs
_____
Fiore di mora Oh fleur de mûre
Quando s’alza per tempo la mia cara Quand se réveille plus tôt ma très-chère
Si vede al doppio splendere l’aurora! On voit resplendir doublement l’aurore !
–
Fior di piselli, Fleur d’haricot,
Avresti tanto cuore di lassarmi? Serais-tu capable de me quitter ?
Innamorati sem da bambinelli. Nous nous aimons depuis qu’on est marmots.
–
Fiorin di sale, Ma fleur de sel,
Di quindici anni cominciai l’amore, Dès mes quinze ans j’ai commencé l’amour,
Di quindici anni ne sentivo male. Dès mes quinze ans j’en ai senti le fiel.
–
Fiorin, fiorino, Fleur, ma fleurette,
Di voi, bellina, innamorato sono: De vous, mignonne, je suis amoureux :
La vita vi darei per un bacino. Je donnerais ma vie pour vos gambettes.
–
Fiore di canna, Fleur de piment,
La canna de canneto è tenerella, Oui le piment est doux quand on le cueille,
Così sarete voi, cocca de mamma. Ainsi que vous, chérie à sa maman.
–
De : Canzoniere italiano, a cura di P.P. Pasolini, Garzanti 1972.
– – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – –
Archive : D’autres expressions « minorées », en tout cas non centrales, sont présentées régulièrement par le groupe de traduction poétique contemporaine de l’équipe CIRCE (LECEMO) de notre université, dirigée par J.Ch. Vegliante. Les textes dialectaux y sont toujours accessibles aussi dans leur version originale. Voir : ici .