Raphaël à Rome entre naturalisme et réalisme : rencontre avec un méconnu renommé.

Le Louvre, en collaboration avec le musée du Prado, signe une nouvelle exposition d’exception et pour la première fois entièrement consacrée aux années romaines de Raphaël et de son atelier, celles de son apogée artistique et mondain ; un événement historique, aux grandes inspirations, et pourtant loin d’être une inauguration dans le panorama des entreprises colossales que le Hall Napoléon a désormais l’habitude d’abriter. En effet, il n’y a même pas six mois, un rendez-vous immanquable avait été fixé avec Léonard et sa Sainte Anne ; en 2009/2010 – même lieu et même grande résonance – les trois maîtres de la peinture vénitienne du XVIème siècle se battaient sous nos yeux à coups de pinceau et d’éclats de lumière ; on ne s’étonneraient guère alors si la saison 2013/2014 du musée « italomaniaque » nous réservait une belle rencontre avec le grand absent, le chantre par excellence de ce qu’on garderait à l’esprit comme une apologie sans précédent de l’univers artistique de la Renaissance italienne : Michel-Ange [1].

1L’automne 2012 marque non seulement la célébration du génie artistique de Raphaël et de son héritage en France, mais aussi la redécouverte et une plus ample et complète reconnaissance de ses talents picturaux, architecturaux et archéologiques à Rome, aux musées du Vatican et en concomitance avec la réouverture des très célèbres « chambres de Raphaël » au palais apostolique, après plus de trente ans de restauration.

Un long chemin d’évolution et d’innovation, toujours accompli dans un continuel souci de perfection et d’équilibre et dans un temps resserré : les sept ans qui vont de l’accession au trône pontifical de Léon X jusqu’au départ pour Mantoue de Giulio Romano, son disciple et collaborateur à la fois le plus orthodoxe et le plus iconoclaste. L’exposition s’ouvre sur un rapide retour en l’arrière, avant l’arrivée de l’artiste à Rome en 1508, une sorte de prémisse qui nous introduit à l’apothéose romaine par le biais des commencements florentins du peintre, années d’intense formation et réflexion artistiques, et ses conséquentes influences michélangélesques et léonardesques, sans oublier l’évidente sensibilité au goût flamand du paysage. Ces leçons bien assimilées seront d’ailleurs des composantes toujours révélatrices des choix coloristes de Raphaël, où la lumière vivifie les gestes et dévoile les décors, aussi bien d’intérieur que d’extérieur, de son trait, vague et précis selon les circonstances, ainsi que de ses formes pleines, sculptées, tantôt pleines de « grâce », tantôt « terribles ».

4Le rapide excursus florentin laisse soudain la place à un long parcours composé de six sections retraçant un ensemble assez exhaustif des réalisations de l’artiste et de son atelier, qui témoigne bien  du rôle déterminant des collaborations massives, bien que rigoureusement  contrôlées, des deux principaux assistants de l’artiste : Giulio Romano et Gian Francesco Penni.

Ce minutieux travail d’équipe révèle toute sa complexité dans le nombre de cartons et de dessins préparatoires, extraordinairement soignés et précis, qui tapissent presque toute une section et qui montre ce que devait être l’activité féconde et rythmée de l’atelier de Raphaël à Rome. Cette collaboration à plusieurs mains défile sous les yeux du spectateur selon un projet précis de compréhension de l’exégèse de conception et de réalisation de l’œuvre, cette dernière se fondant sur l’explication, souvent ardue, des degrés des différentes interventions du maîtres et de ses disciples de prédilection.

5Et si Penni excelle visiblement dans le dessin, tel un prolongement du crayon de son maître – ses modèles préparatoires jouissent de tout l’équilibre des plus fidèles compositions de Raphael, ainsi que d’une netteté et d’une précision du trait qui suggèreraient presque un dépassement dans l’imitation – c’est avec Giulio Romano qu’on entend pour la première fois une voix sortir du chœur. Bien qu’il ne parvînt jamais à atteindre ni les niveaux d’expressivité intense et éloquente des figures de Raphael, ni l’équilibre de ses constructions harmonieuses et calibrée, G. Romano arrive en quelque sorte à faire ressortir progressivement sa propre esthétique et son style personnel de l’ombre de son maître et l’exposition nous montre bien cela ; ses tonalités nocturnes, les effets atmosphériques nombreux et changeants, la hardiesse dans les formes et dans les compositions, qui affichent de plus en plus leur désobéissance aux canons classiques, marquent son affranchissement et ouvrent les portes du maniérisme. 8La visite s’achève en douceur sur les notes délicates des Madones et des saintes Familles de Raphaël et de ses deux disciples. On suit les dernières étapes du renouvellement, toujours circonscrit dans le respect de la tradition, des thèmes et de l’iconographie des représentations sacrées, que l’artiste opère dés le début de sa carrière ; la Sainte Cécile de la Pinacothèque nationale de Bologne, datée de 1515-1516 en est fort probablement l’exemple le plus frappant et représentatif. Au fil des années les tonalités deviennent de plus en plus sombres et nous plongent dans des atmosphères crépusculaires (Giulio Romano va d’ailleurs jusqu’au nocturne), dont les personnages affichent une expressivité sans égal qui trouve dans le Saint Joseph son interprète privilégié.

9Cependant Raphaël atteint le véritable sommet de cette peinture de l’âme dans le domaine du portrait. Partagés entre naturalisme nordique et réalisme italien, ce sont surtout les portraits d’amis ou de proches, plutôt que les officiels, qui frappent par leur profondeur psychologique et leur pouvoir introspectif. Le mystère de la femme dite La Velata et le regard impénétrable et captivant de Baldassarre Castiglione différent de quelques minutes le départ du spectateur qui hésite dans l’attente d’une révélation enchanteresse toujours niée et pourtant éternellement effleurée.

Elisabetta Simonetta

[1] À ce propos, la publication et l’exposition en 2003 du Musée du Louvre d’un catalogue complètement renouvelé et consacré à Michel-Ange et à ses élèves et ses copistes, dans la collection permanente de l’Inventaire général des dessins italiens, pourrait bien être considère telle que une prometteuse prémisse.