Benvenuto Lobina, poète sarde
Né à Villanova Tulo en 1914, mort à Sassari en 1993, Benvenuto LOBINA est surtout connu pour son roman consacré à sa région natale, Po cantu Biddanoa [Villanova], 1987 (n.lle éd. 2004), écrit en sarde campidanese avec des dialogues dans la variante locale sarcidanese. Mais il a publié des vers dès les années Cinquante, par ex. dans « La Nuova Sardegna » (en p. 3), et a reçu la consécration du prix Lanciano de poésie en 1975. Parfaite illustration des échanges latins « les uns par les autres », il a traduit également en sarde des écrivains hispano-américains. Un bon spécialiste de son oeuvre écrit, à propos du texte dont nous proposons le début ci-après : « Esprimere, esprimersi: questo manca ai vinti: e vinti li lascia. Questo è il tema dell’ultima canzone di Lobina, Canzoni nuraxi, dove l’idea – l’Idea – dei primi abitatori di questa terra ora disisperada, di quest’Isola non detta, non si è fatta parola, non si è affiancata all’abilità costruttiva dei giganti megalitici, perché non è stata accompagnata da fueddu’ de profetas, né da fueddu’ de dottus, né da conzillus, o semingiu o trastus; sì che le parole pur pronunciate non sono state compiute, e son rimaste fueddu’ non cumprius che era bregùngia lassai a i’ benidoris, perché parole solo “del pane, dell’acqua, del riparo” ».
Seulement à titre d’exemple, deux termes que l’on retrouve souvent ici : ‘nouraghe’ et ‘mot, parole’ : nuràke / favéddu (sarde central), nuràghe / faéddu (logudorese), nuràxi / fueddu (campidanese) – toscan ‘favella’ – Cf. M.L. WAGNER, La lingua sarda – Storia, spirito e forma, Bern, F. Verlag, 1951.
JcV
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Canzoni nuraxi
. Cun custus fueddus ismenguaus, sordigosus, ispisteraus,
fueddus imprestaus, fueddus burdus, arestaus,
fueddus angariaus.
Cun custus fueddus trobius.
I.
. Innantis fut s’idea.
Di aundi é benìa, s’idea, di aundi é benìa,
passendu a s’appràpidu maris di azzardu,
alluinada maris de luxi,
alas de bentu chi si pinnìgant in mesu celu,
e innoi, seguras, ’ndi càlant a fai cussòrgia?
Idea – alas de bentu, arrùndili arriscada,
sinnalis de grandesa a s’ora ’e movi
deidadis contrarias negau
t’ìant in bolu ’e storis, in is nuis
chi cuanta su soli;
accumpangiau
no t’ìanta fueddus de profetas
airaus po s’abbandonu,
ni fueddus de dottus, ni cunzillus,
ni semìngiu, ni trastus.
Ma candu, fatta tallu a prima arei,
poita no as postu po disfida
arrexìnis a is perdas de fundu,
arrexìnis chi éssinti che raju spaccau sa terra
e logu a logu cungiuntu
éssinti,
i òmini a òmini?
Poita no as prantau
sa rosa arrùbia chi spànnat contra su fogu,
sa rosa boxi e bandera
chi zérriat a sa sighìa de punta ’e is montis,
e denniunu dda bidi,
e denniunu dda ’ntendit,
e accùdit, accùdit?
Fueddu
poita no as intregau
a sa perda allisada disigiosa ’e scraffeddu,
abbandonada
che fémina chi no imprìngiat, in lettus de soli,
o interrada muda in is intragnas iscuriosas de sa terra,
muda
a is pregontas mias?
O fut bregungia
lassai a is benidoris is fueddus no cumprius
chi cumenzànta a pillonai in s’àiri noa
cun su ludu de is terras lassadas ancora piccigau?
Fut bregungia
lassai sceti is fueddus
de s’aqua, de su pani, de s’arreparu?
[…]
…
Chanson nouraghe
. Avec ces mots humiliés, salis, fracassés,
ces mots d’emprunt, ces mots faussés, rendus sauvages,
ces mots opprimés.
Avec ces mots empêtrés.
I.
. D’abord il y eut l’idée.
D’où est-elle venue, l’idée, d’où venue,
traversant à tâtons des mers de péril,
éblouie en mers de lumière,
ailes de vent qui s’assemblent en plein ciel,
descendant ici, sûres, et s’y installent ?
Idée – ailes de vent, hirondelle téméraire,
tout signe de grandeur à ton départ
te fut refusé par des dieux contraires
en vols de corbeaux, en noires nues
occultant le soleil ;
et ne t’accompagnèrent
ni paroles de prophètes
courroucés par l’abandon,
ni paroles de doctes, ni conseils,
ni don de semences, d’outils.
Mais une fois ta harde, ton premier troupeau fait
pourquoi n’as-tu pas fixé comme défi
des racines aux pierres de fondation,
racines qui comme un dard fendent la terre
et auraient conjoint un lieu
à l’autre,
un homme à l’homme ?
Pourquoi n’as-tu planté
la rose rouge qui s’ouvre contre le feu,
la rose voix et drapeau
qui sans cesse appelle du haut des montagnes,
et que chacun la voie
et chacun l’entend,
et accourt, accourt ?
Un mot,
pourquoi ne pas l’avoir confié
à la pierre polie, offerte au burin,
abandonnée
comme femme inféconde en des lits de soleil,
ou muette enfouie dans le ventre obscur de la terre,
muette
à ces questions miennes ?
Ou bien était-il honteux
de laisser à tes descendants des mots inachevés
qui commençaient à bourgeonner dans l’air neuf
encore tout poissés de la boue des terres quittées ?
Était-il honteux
de ne léguer que les mots
de l’eau, du pain, de l’abri ?
(tr. JcV)
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(*) D’autres poèmes en sarde – contemporain – dans le blog CIRCE (Antonella Anedda)
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